03 janvier 2023 ~ 0 Commentaire

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L’affaire Dreyfus – un coup monté qui a alimenté une crise  

Une vicieuse injustice antisémite a divisé la société française en deux à la fin du 19è siècle. Il y a 125 ans ce mois-ci, le romancier Emile Zola s’est élevé contre cette injustice. Charlie Kimber se penche sur les enjeux politiques de l’affaire Dreyfus.

L’affaire Dreyfus a donné lieu à des débats importants pour les socialistes. Les classes dirigeantes en difficulté cherchent des boucs émissaires. Et la condamnation du capitaine Alfred Dreyfus pour espionnage en 1894 était parfaite pour l’élite en crise au sommet de la société française. Dreyfus était juif et vilipendé comme représentant des « étrangers » sapant tout ce qui était noble en France.

Quelques années auparavant, une affaire de corruption massive liée à la construction du canal de Panama a discrédité des pans entiers de la classe dirigeante française.  Deux des nombreu-ses personnalités impliquées dans la distribution de pots-de-vin étaient juives. Cela s’ajoute à la saleté antisémite déversée par une grande partie de la presse et des politiciens. Les crimes apparents de Dreyfus ont ajouté à ce poison.

Reconnu coupable par une cour martiale secrète d’avoir vendu des secrets militaires à l’Alle-magne, le tribunal condamne Dreyfus à la prison à vie.  Comme il ne veut pas reconnaître sa culpabilité, Dreyfus est envoyé dans la colonie pénitentiaire de l’île du Diable, en Amérique du Sud. Les autorités ont débarrassé un rocher stérile de trois kilomètres de long et de 500 mètres de large de toute forme de vie, à l’exception des gardes, afin de contenir Dreyfus seul. Il vivait dans une hutte de pierre sous une surveillance perpétuelle.

Il n’est pas étonnant, disait-on, que l’Allemagne ait vaincu la France lors d’une récente guerre lorsque des éléments aussi traîtres sont au cœur de l’État.  L’affaire pouvait être utilisée pour unir le peuple contre un ennemi extérieur et saper encore davantage le souvenir de la révolte ouvrière de la Commune de Paris de 1871. Presque personne ne doute de la condamnation.

Mais toutes les preuves contre Dreyfus étaient fausses, et peu à peu, sa famille, puis un cercle plus large de partisans, ont commencé à saper le récit officiel. Des sections de la gauche et certains libéraux prennent la défense de Dreyfus.  Tous les éléments pourris de la société s’unissent pour dire que Dreyfus est coupable et pour salir ses partisans en les traitant d’antipatriotes.

La droite a prétendu à tort que derrière les appels à la libération de Dreyfus se cachait un « syndicat » clandestin composé de Juifs, de socialistes et d’étrangers. Ce syndicat était censé corrompre les juges et soudoyer les témoins. Il visait à briser la confiance de la nation dans l’armée, à révéler ses secrets et, lorsqu’elle était sans défense, à ouvrir ses portes à l’ennemi allemand.

L’historienne Barbara Tuchman a écrit qu’il était « personnifié par les caricaturistes sous la forme d’un gros personnage juif portant des bagues et des chaînes de montre et arborant une expression de malveillance triomphante ». Cette question a dominé la vie politique pendant deux ans, de l’été 1897 à l’été 1899. Léon Blum, qui deviendra plus tard Premier ministre socialiste, écrit qu’il s’agit d’une « véritable guerre civile » et « d’une crise humaine non moins violente que la révolution française ».

Le 13 janvier 1898, le romancier Emile Zola, l’un des écrivains les plus traduits au monde, publie un article de 4 000 mots intitulé « J’Accuse » dans le journal libéral L’Aurore. Il s’est vendu à 300 000 exemplaires, dont une partie a été remise aux partisans de l’armée pour être brûlée dans les rues.  Il a l’audace d’attaquer nommément tant de personnes influentes qu’elles seront obligées de le poursuivre en justice pour diffamation, obligeant ainsi à un examen public de l’affaire.

Il écrit :  » J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir dissimulées pour des motifs politiques et pour sauver la face de l’état-major.  « J’accuse le général Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, le premier sans doute à cause de ses préjugés religieux, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui vise à faire du bureau de la guerre un sanctuaire qu’il ne faut pas attaquer. »

Zola désignait les vrais coupables des délits d’espionnage et dénonçait « l’obsession du « sale juif » qui est le fléau de notre temps. »  Il fait de l’affaire une affaire internationale et amène les assignations que Zola avait espéré provoquer. La réaction est si violente que Zola est rapidement condamné pour diffamation criminelle et doit fuir en Angleterre pour échapper à la prison. Mais de plus en plus de gens se rendent compte que l’armée a piégé Dreyfus.

Un grand mouvement social, la Ligue des droits de l’homme, organise des réunions publiques dans tout le pays.  Il organise une pétition de masse pour la libération de Dreyfus, que chacun doit décider de signer ou non. Des villages entiers la soutiennent tandis que d’autres la refusent unanimement.

La pression exercée par une campagne de plus en plus importante dans les rues a forcé la tenue d’une deuxième cour martiale à la fin de l’année 1899, qui a vu la libération de Dreyfus de sa prison insulaire.  De façon sensationnelle, le second procès réitère l’ancien verdict, car l’idée d’admettre son innocence est trop déstabilisante pour les militaires.

Mais pour mettre fin à l’agitation, le président passe un accord pour gracier Dreyfus. Il faudra encore de nombreuses années pour que le nom de Dreyfus soit complètement blanchi. L’affaire divise les socialistes, non pas en raison d’un quelconque soutien à l’antisémitisme, mais en raison des forces de classe impliquées.

Jules Guesde est associé au slogan « Construire le socialisme et rien que le socialisme ». Il a déclaré que l’affaire n’était qu’un désaccord entre les éléments dirigeants, ce qui n’était pas pertinent pour les socialistes.  Après tout, dit-il, quelles que soient leurs différences, toutes les figures centrales faisaient partie d’une armée qui avait écrasé la Commune.  Les syndicalistes de premier plan et certains anarcho-syndicalistes considèrent que tout cela n’est qu’une mystification et une distraction bourgeoises.

Mais un autre socialiste de premier plan, Jean Jaurès, soutient que les travailleurs doivent se saisir de toutes les questions de démocratie. Et il ajoutait : « Qui est le plus menacé aujourd’hui par l’arbitraire des généraux, par la violence glorifiée des répressions militaires ? Qui ? Le prolétariat.

« Ils ont donc un intérêt de premier ordre à punir et à décourager les illégalités et les violences des cours martiales avant qu’elles ne deviennent une sorte d’habitude acceptée par tous. » Selon lui, les divisions au sommet pourraient être utilisées pour affaiblir la classe dirigeante.

Jaurès était soutenu par la révolutionnaire germano-polonaise Rosa Luxemburg. Dans l’un de ses premiers ouvrages, elle défendait ce point. D’une certaine manière, elle préfigurait ce que le révolutionnaire russe Vladimir Lénine allait mettre en avant quelques années plus tard. Elle écrivait : « Le principe de la lutte des classes impose l’intervention active du prolétariat dans tous les conflits politiques et sociaux de quelque importance qui se déroulent au sein de la bourgeoisie. »

Selon Luxemburg, l’affaire implique « le militarisme, le chauvinisme-nationalisme, l’antisémitisme et le cléricalisme ». Luxemburg tonnait qu’il serait « totalement incompréhensible de ne pas entrer en lutte avec ces ennemis ». Et elle ajoute plus tard : « L’ennemi de la classe ouvrière, le militarisme, était complètement exposé et il était nécessaire de diriger toutes les lances contre lui. »

Mais elle soutenait également que les socialistes devaient aborder l’agitation autour de Dreyfus comme « une lutte de classe clairement caractérisée qui la différencie des autres factions du mouvement ». Jaurès et Luxemburg avaient raison de dire que les révolutionnaires doivent être des tribuns des opprimés plutôt que de simples syndicalistes. L’oppression détruit des vies, mais elle est aussi un couteau sous la gorge de l’unité de la classe ouvrière.

Mais ce n’est pas la fin du débat socialiste sur l’affaire Dreyfus. Moins d’un an après la publi-cation de J’accuse, le premier ministre conservateur offre un poste de ministre à l’un des partisans socialistes de Jaurès, Alexandre Millerand.

Il avait décidé que c’était le meilleur moyen de mettre fin à l’affaire et d’élargir le soutien à son nouveau gouvernement. Millerand était censé être « l’équilibre » de la nomination du général Gallifet, le bourreau de la Commune, comme ministre de la guerre.  C’est le premier exemple d’un socialiste entrant dans un gouvernement ouvertement capitaliste, ce qui, une fois encore, divise fortement la gauche. Jaurès défend la démarche comme une suite logique de l’affaire Dreyfus et comme une étape transitoire du régime commun capitaliste-ouvrier.

Mais Luxemburg fait appel à certains des plus grands théoriciens du mouvement socialiste européen pour s’opposer à Jaurès. Selon elle, le rôle de classe d’un gouvernement ne change pas à cause d’un changement de personnalités. Luxemburg argumente : « L’entrée d’un socialiste dans un gouvernement bourgeois n’est pas, comme on le pense, une conquête partielle de l’État bourgeois par les socialistes, mais une conquête partielle du parti socialiste par l’État bourgeois. »

C’était un signe avant-coureur des arguments qui allaient balayer les partis sociaux-démocrates, de type travailliste, sur la révolution ou la réforme.  Ils se sont presque tous adaptés à l’État bourgeois et, en 1914, au début de la guerre mondiale, ils se sont ralliés à leur propre classe dirigeante pour soutenir le massacre des travailleurs d’autres pays.

Les avertissements de Rosa Luxemburg concernant Millerand étaient tout à fait corrects. Le gouvernement qu’il rejoint refuse de poursuivre ceux qui ont fait condamner Dreyfus et Millerand leur donne un camouflage radical. Il abandonne l’exigence de justice comme prix à payer pour rester dans le cabinet.

Charlie Kimber

https://socialistworker.co.uk/

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