écoutes (convergences révolutionnaires)
Depuis une semaine l’ensemble de la presse fait ses gros titres sur le « scandale » des écoutes téléphoniques des chefs d’États et de gouvernements, de responsables politiques, d’avocats, de militants politiques associatifs et syndicaux et de bien d’autres citoyens lambda par le biais du logiciel espion Pegasus.
Ce logiciel, mis au point par la société israélienne NSO créée par d’anciens membres du renseignement militaire en étroite collaboration avec le ministère des Armées et le gouvernement israélien, aurait été vendu à une quarantaine d’États qui ne brillent ni par leur comportement démocratique, ni leur respect des droits humains.
Cependant il ne faut pas oublier que l’écoute systématique des citoyens par les pouvoirs publics est une pratique devenue courante dans tous les États, qu’ils se réclament de la démocratie parlementaire ou soient de féroces dictatures. Ce qui est nouveau avec le logiciel Pegasus est que ces écoutes peuvent désormais être effectuées à distance en infectant les téléphones portables sans que leurs utilisateurs s’en aperçoivent et sans intervention physique des agents chargés de mener à bien ce type d’opérations. On n’arrête pas le progrès.
Brefs retours en arrière
Quelques exemples pour montrer que ces pratiques barbouzardes ne sont pas nouvelles. Il y a près d’un demi-siècle, en 1973, un journaliste du Canard enchaîné qui rentrait chez lui aperçut de la lumière dans les locaux du journal qui, à cette heure tardive, auraient dû être vides. Il monta et se trouva nez-à-nez avec une équipe d’agents de la Direction de la surveillance du territoire (DST) qui posait des micros dans la rédaction pour le compte du ministère de l’Intérieur.
L’affaire fit d’autant plus de bruit qu’un peu plus tard l’hebdomadaire satirique publiait les noms des « agents secrets » impliqués. Finalement, après dépôt d’une plainte, l’affaire traîna en justice jusqu’à la décision finale d’un non-lieu… pour prescription.
Entre 1983 et 1986, sous son premier septennat, Mitterrand s’était fait « prêter » par un autre service de renseignements, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), vingt lignes d’interception qui lui permettaient d’espionner journalistes et hommes politiques qui fouillaient de trop près sa vie privée.
Enfin, depuis 2007, l’Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT, devenue en 2019 Direction générale de la sécurité intérieure) dispose d’un système pouvant écouter jusqu’à 20 000 lignes chaque année et travaille en étroite collaboration avec les différents services de renseignement.
Plus près de nous, en 2013, le lanceur d’alerte américain Edward Snowden révélait que l’Agence nationale de sécurité (NSA) des États-Unis avait intercepté pendant des années les communications téléphoniques et électroniques des dirigeants européens et français pour le compte de Washington. Le tout avait fait des vagues pendant quelques semaines avant de disparaître de la une des principaux médias.
Et aujourd’hui
En fait tout le monde peut être écouté par les autorités et le secret des communications est devenu aujourd’hui une vaste blague.
Les interceptions sont de deux sortes : judiciaires ou administratives.
Les premières sont ordonnées par un juge d’instruction sur demande de la police ou de la gendarmerie. Pour justifier une telle demande on met en avant « la protection de l’ordre public, les soupçons de terrorisme ou de blanchiment d’argent, l’imminence vraie ou supposée d’un projet criminel en préparation, la complicité probable entre un mis en examen et ses avocats pour faire entrave à la Justice, etc. » Et, en général, de telles demandes ne sont jamais refusées.
Les secondes sont ordonnées sous la responsabilité du Premier ministre. Elles portent sur « des affaires de terrorisme, d’atteinte à la sécurité nationale, de sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, de prévention de la criminalité et de la délinquance organisée, de prévention de la reconstitution ou du maintien des groupes de combat et milices privées dissous ».
Bref une liste à la Prévert qui laisse les mains libres à la police pour écouter à peu près n’importe qui. Par exemple, une manifestation entachée de violence peut être assimilée à « une atteinte à la sécurité nationale » et valoir à ses organisateurs ou à ses participants une mise sur écoute, un service d’ordre assimilé « à un maintien des groupes de combat » et la dénonciation des magouilles du groupe Bolloré en Afrique à une atteinte « au potentiel économique de la France ».
Il n’y a qu’à se servir pour trouver le bon prétexte et, en général, la Justice, bonne pomme, n’est pas trop regardante et suit sans broncher. Et bien souvent « les services » écoutent comme bon leur chante, sans se soucier d’en référer à quiconque.
Des écoutes qui vont bon train
C’est pourquoi les écoutes téléphoniques et les géo-localisations à partir de portables, qui ont succédé à l’espionnage des lignes fixes, continuent d’aller bon train. Selon la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), un organisme indépendant qui n’enregistre bien sûr que les écoutes « légales » que lui transmettent les services de renseignement et qui ne va pas chercher beaucoup plus loin, en 2020 près de 22 000 personnes avaient fait l’objet d’au moins une mesure de surveillance en France.
Selon d’autres chiffres plus anciens, entre l’été 2011 et l’été 2012, le groupement interministériel de contrôle (GIC) avait traité près de 197 000 demandes de surveillance électronique (y compris Internet), « la sécurité nationale » étant invoquée dans 70 % des cas. Ce qui veut dire en moyenne plus de 500 par jour.
En outre, tous les opérateurs téléphoniques sont tenus de collaborer avec les services de l’État pour mener à bien ces écoutes. Ainsi, au sein du groupe Orange, entre 150 et 200 salariés à temps plein sont entièrement mobilisés pour intercepter les lignes téléphoniques et analyser environ 15 000 factures détaillées mensuelles de communications (fadettes) pour le compte de la police.
Ce qui signifie concrètement que chaque année dans ce pays plusieurs milliers de personnes sont écoutées pour le compte des services de police ou de nos gouvernants, tous placés sous l’égide du président de la République.
Et que Macron se retrouve finalement écouté à son tour n’est qu’un juste retour des choses.
Jean Liévin 23 juillet 2021