Il faut croire que les patrons ont la santé fragile (regards)
Sophie Binet (CGT)
Alors que l’Assemblée examine aujourd’hui des mesures visant à mieux encadrer les stages en entreprise, le président du Medef s’est plaint de projets de loi « stressants » pour les patrons. Ce qui n’émeut pas particulièrement Sophie Binet, membre du Bureau confédéral de la CGT.
Pierre Gattaz a demandé mardi un « moratoire » sur les lois qui mettent « du stress sur le dos des patrons ». Il a en particulier cité le projet de réforme du statut des stagiaires, qui est débattu à l’assemblée mercredi…
Sophie Binet. Il faut croire que les patrons ont la santé fragile. Car il n’y a vraiment pas de quoi les stresser dans la proposition de loi du gouvernement. Le projet va certes dans le bon sens : il interdit les stages de plus de six mois, il oblige les établissements délivrant les conventions de stage à dis- penser un nombre d’heures d’enseignement minimum afin de lutter contre les conventions de complaisance, et surtout il fixe un plafond de stagiaires par entreprises, qui devrait tourner autour de 10%. C’est un bon début, mais c’est loin d’être suffisant. On estime qu’au minimum 100.000 emplois sont remplacés par des stages…
Quelles sont les principales propositions de la CGT ?
Pour éviter le travail dissimulé et renforcer les droits des stagiaires, on a d’abord besoin de garanties sur le contenu pédagogique du stage. Ensuite, il faut donner plus de droits aux stagiaires, notamment sur le temps de travail, qui devrait être limité à 35 heures, contre 48 comme c’est le cas actuellement dans la proposition de loi. Sachant que 70% des stages aujourd’hui ne sont pas indemnisés du tout, surtout dans le secteur public de la santé et du social, nous proposons également que tous les stagiaires soient payés au minimum la moitié du smic, y compris pour les stages courts, qu’ils bénéficient de la prise en charge de la moitié des frais de transport et des tickets restaurant. Certains parlementaires socialistes, verts et communistes ont d’ailleurs repris nos propositions, qu’ils ont déposées sous forme d’amendement.
Le patron du Medef a aussi déclaré avoir « très, très peur » de l’impact d’autres projets de loi pour les entreprises. On ne peut pourtant pas dire que ces dernières soient maltraitées par le gouvernement…
En effet, et il n’y a pas que les 20 milliards d’euros d’allègements fiscaux du CICE ou les 30 milliards du Pacte de responsabilité (ce n’est pas encore clair de quelle manière les deux vont s’agencer). Les entreprises bénéficient au total de 200 milliards d’euros d’exonérations et de cadeaux fiscaux. Ceci inclut par exemple le Crédit impôt recherche de 6 milliards d’euros par an, qui représente un quart du budget annuel de l’enseignement supérieur et de la recherche, et qui n’a pourtant pas conduit à une augmentation de la part de la R&D dans le PIB, comme le pointe un rapport de la Cour des comptes. Quant au CICE, censé rendre les entreprises exportatrices françaises plus compétitives, il n’est même pas ciblé sur les secteurs qui exportent, puisque seulement 20% vont à l’industrie, le reste allant à des secteurs comme la restauration ou la grande distribution qui n’ont pas de problème de concurrence internationale. De plus, ce dispositif ne profite finalement qu’aux grands groupes, qui n’hésitent pas à exiger de leurs sous-traitants qu’ils baissent leurs prix à hauteur de ce qu’ils ont économisé grâce au CICE…
L’efficacité de cette politique de l’offre ne semble donc pas évidente en termes d’embauches… D’ailleurs Pierre Gattaz se garde bien de s’engager en cette matière, souhaitant que le « l’observatoire des contreparties » soit renommé « comité de suivi ».
La création d’emplois dépend du carnet de commandes, pas du coût du travail. Même Jean-François Roubaud, le patron de la CGPME, l’a reconnu le mois dernier. On peut baisser les cotisations et les impôts tant que l’on veut, les entreprises n’embaucheront et n’investiront pas si la demande n’est pas là. L’engagement du Medef de créer un million d’emplois en cinq ans s’il obtient 100 milliards de baisse de charges n’a donc aucun sens. Cela fait trente ans que l’on mène ces politiques de baisse de coût du travail, on sait maintenant qu’elles sont inefficaces. La CGT exige une évaluation des 200 milliards d’aide dont bénéficient les entreprises chaque année, et propose de les conditionner à leur politique d’emploi, d’investissements, de salaire et de lutte contre la précarité. Plus largement, pour sortir de la crise, il faut adopter, comme commencent à le faire nos pourtant très libéraux voisins, une politique de la demande. Si l’Allemagne, la Grande Bretagne, les Etats-Unis et même la Chine augmentent les salaires, ce n’est pas par charité, c’est parce que c’est le meilleur moyen de relancer l’économie par la demande intérieure ! Entretien, par Laura Raim| 19 février 2014
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