12 décembre 2013 ~ 0 Commentaire

Une jeunesse stigmatisée (2)

prison-mineurs-delinquants

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De tout temps et dans de nombreuses sociétés, les jeunes générations ont été tenues pour partie responsables de désordres civils insupportables. Au début du XIXe siècle, les classes laborieuses ont été désignées comme dangereuses et pénalisées en conséquence. Les enfants voleurs ou vagabonds ont été relégués dans les bagnes.

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En France, l’ordonnance de 1945 a innové en introduisant l’idée que la sanction doit être l’exception en matière de réponse pénale et qu’il faut mettre en place des institutions spécialisées pour les mineurs.

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Et au tournant des années 60-70, l’esprit de l’ordonnance de 1945 paraît s’imposer. Après 1968, la droite va mettre cette question au centre, avec loi anti-casseurs du gouvernement Chaban-Delmas en 1970, puis, après une campagne électorale en 1974 où la question de la sécurité devient pour la première fois un thème de campagne, Alain Peyrefitte fait voter en 1980 la loi sécurité et liberté.

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En 1981, la gauche abrogera la loi anti-casseurs et en 83 une partie seulement de la loi Peyrefitte, conservant en particulier la disposition inique de la comparution immédiate.

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La question de l’insécurité ne va plus quitter le devant de la scène. En lien avec le processus de relégation des quartiers les plus pauvres et le chômage, les jeunes de ces quartiers vont petit à petit servir de boucs émissaires.

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En 1999, c’est dorénavant la gauche qui décide d’inscrire les orientations de la Protection judiciaire de la jeunesse dans le cadre d’un conseil de sécurité intérieure jusque-là réservé au terrorisme. Sous l’impulsion de Chevènement, ministre de l’Intérieur, l’heure est au « traitement de toutes les incivilités » et à la « tolérance zéro » pour les mineurs.

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Le mouvement sécuritaire va s’accélérer avec en 2002 l’élection de Chirac et Sarkozy au ministère de l’Intérieur. La loi dite Perben I va considérablement accentuer le mouvement d’aggravation de la pénalisation des mineurs auteurs, en favorisant la banalisation de l’enfermement et de l’incarcération. Dorénavant, le souci de protection est posé comme antinomique avec la prise en compte des victimes ou avec la cohérence de la réponse judiciaire.

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La rapidité de traitement des procédures n’est plus une réaction « normale » face à la « lenteur de la justice » mais un choix justifié par l’efficacité attendue de l’action pénale vis-à-vis des adolescents. Le travail éducatif dans la durée est posé comme contradictoire avec les exigences de l’ordre public.

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L’heure est au retour des pères fouettards et à la réhabilitation de la valeur de la sanction visible, voire spectaculaire. Les éducateurs PJJ font un retour en quartier mineur, les établissements pénitentiaires pour mineurs et les centres éducatifs fermés (CEF) sont créés. Si depuis la fin des années 90, une partie de la jeunesse originaire des quartiers défavorisés et ghettoïsés est régulièrement désignée comme responsable de l’insécurité, les textes sécuritaires vont exploser à partir de 2002.

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Depuis la défaite électorale de Sarkozy en 2012, le seul texte sur les mineurs, dont l’abrogation a été annoncée dans le cadre du projet de réforme pénale, est celui sur les peines plancher. Cependant, le débat parlementaire aura lieu après les élections municipales et, dans la logique imposée par Valls cet été, rien ne garantit que cette suppression ira à son terme. Concernant la suppression des dispositifs sécuritaires hérités du sarkozisme dans l’ordonnance de 1945 (dont la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs), ils sont renvoyés à plus tard.

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Nous pouvons craindre qu’ils soient considérés comme inopportuns politiquement. Les annonces de campagne de François Hollande sur le doublement des CEF étaient clairement explicites sur le refus de rupture avec le gouvernement précédent. La ministre de la Justice, qui n’avait pas une approche aussi timorée, a été contrainte d’accepter dix CEF publics supplémentaires alors qu’elle évoquait à l’été 2012 l’arrêt des ouvertures.

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Les jeunes auteurs d’actes de délinquance seraient, prétendument, de plus en plus nombreux et de plus en plus violents. Sarkozy et consorts ont été les plus zélés caricaturistes de la réalité. Cependant, les formules chocs employées à l’occasion de faits divers sont contestées par les études argumentées. Celles-ci mettent en évidence pour les mineurs une stabilité des actes criminels sur le long terme à un niveau très bas, et une augmentation des faits correctionnels comparables pour les mineurs et les majeurs.

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De surcroît, les statistiques sur la délinquance en général peuvent autant refléter l’augmentation réelle de celle-ci qu’être le produit de l’activité policière ou de la sévérité accrue des procureurs. En fait, la stigmatisation des jeunes auteurs de délits fait d’autant plus écho dans la population que celle-ci est confrontée à une situation de crise économique et sociale qui favorise l’explosion de la précarité.

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Face à l’incertitude du lendemain qui atteint un nombre de plus en plus grand de personnes, le sentiment d’insécurité est amplifié par des campagnes populistes qui visent à détourner l’attention des véritables responsables de l’insécurité. Les jeunes et les étrangers sont des sources inépuisables de ces campagnes réactionnaires.

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Michel Faujour, co-secrétaire national du SNPES-PJJ/FSU (syndicat des personnels de la Protection judiciaire de la jeunesse)

http://www.npa2009.org/node/39792

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