La doctrine « trop grandes pour être condamnées » ou comment les banques sont au-dessus des lois (Cadtm)
Dans une période caractérisée par le pouvoir économique et politique croissant du système financier au niveau mondial, l’utilisation de ressources publiques pour sauver des entités bancaires est devenue un lieu commun.
Que ce soit à Chypre, en Grèce, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, les sauvetages bancaires d’institutions impliquées dans des affaires de corruption, de fraude et de spéculation sont, les uns après les autres, justifiés par le fait qu’elles sont trop grandes pour faire faillite (Too Big to Fail). Selon ce raisonnement, la banqueroute de grandes banques menace la stabilité financière et économique de leur pays de résidence, d’où l’utilisation nécessaire de l’argent public afin d’éviter une mise en faillite.
Rabâché inlassablement par tous les médias possibles, cet argument est malheureusement devenu un élément rebattu du discours politique dans une bonne partie du monde. Il n’est dès lors plus surprenant d’entendre un fonctionnaire public en Espagne, au Portugal ou en Irlande signaler qu’il n’y a pas d’alternative à l’application de coupes drastiques dans les dépenses publiques, ceci afin d’assurer la solvabilité et la stabilité des banques. Le comble, c’est que transférer de l’argent public aux banques ne suffit plus, il faut en outre protéger les banques et leurs dirigeants des conséquences légales et juridiques des activités illégales et criminelles menées par nombre d’entre eux. Aujourd’hui, les banques sont non seulement trop grandes pour faire faillite, mais aussi trop grandes pour être condamnées.
Le point clef de la nouvelle doctrine visant à offrir un blanc-seing aux banques, indépendamment des activités illégales dans lesquelles elles sont impliquées et des conséquences sociales de celles-ci, a été résumé par Eric Holder, procureur général des États-Unis. Interrogé au sein du Sénat étasunien sur la position de la Cour des Comptes quant à la condamnation des banques étasuniennes et de leurs dirigeants pour des actes de corruption et de fraude, Holder souligna que « ces institutions sont si grandes qu’il est difficile de les poursuivre en justice, et le faire montre qu’effectivement, si on les inculpe pour activités criminelles, cela peut avoir des répercussions négatives pour l’économie nationale, voire mondiale » |1|.
Les retombées de cette position sont claires. Le fait que les excès et la spéculation financière aient causé la pire crise économique du siècle dernier n’a aucune importance. Que de tels excès soient associés a une épidémie de fraudes |2|, à tous les niveaux d’opérations des entités financières, est insignifiant. Et ce n’est qu’un détail si, suite aux pratiques frauduleuses des banques, 495 000 personnes au moins aux États-Unis ont été expulsées illégalement de leurs logements |3| et les fonds de pensions des pays développés ont perdu près de 5400 milliards de dollars |4|. Le rôle des banques est apparemment si important et indispensable que leur fonctionnement transcende les requêtes légales et constitutionnelles des sociétés modernes. Dès lors, la justice détourne le regard des banques et des dirigeants responsables d’actes de corruption et de fraude pour leur éviter de passer ne serait-ce qu’un jour en prison. En fin de compte, on ne peut tout de même pas poursuivre en justice un dirigeant d’une institution bancaire qui « ne fait que le travail de Dieu » |5|, des mots de Lloyd Blankfein (CEO de Goldman Sachs).
Les arguments ci-dessus pourraient prêter à sourire si les conséquences de la doctrine « trop grandes pour être condamnées » n’étaient pas régulièrement visibles par le biais de plusieurs affaires judiciaires très médiatisées, ces derniers mois, des deux côtés de l’océan. Les affaires se suivent et la justice se borne à des amendes qui représentent bien souvent une maigre fraction des bénéfices issus d’activités illégales, sans qu’aucun dirigeant ne soit inquiété. Trois exemples suffisent pour témoigner de l’absurdité de la situation actuelle : le jugement sur les expulsions illégales de logement (« foreclosures ») aux États-Unis, HSBC épinglée pour blanchiment d’argent des cartels de la drogue également aux États-Unis, et l’affaire sur la manipulation du taux LIBOR au Royaume-Uni. 20 septembre par Daniel Munevar
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