USA: une croissance low cost (CI)
La timide reprise du marché du travail américain a encore ralenti en juillet – et les emplois créés se situent en grande partie dans les secteurs à bas salaires. Plus de la moitié concernent en effet la restauration et le commerce de détail, où les salaires horaires sont largement au-dessous de 20 dollars. “Ces emplois figurent dans les statistiques, mais on prête peu attention à leur nature”, déclare Arne Kalleberg, professeur de sociologie à l’université de Caroline du Nord et auteur de Good Jobs, Bad Jobs [Bons emplois, mauvais emplois]. “Ce sont souvent des emplois peu rémunérés, dans le commerce de détail ou les services à la personne, et beaucoup sont à temps partiel.” Néanmoins, le taux de chômage a chuté à 7,4 %, son plus bas niveau depuis décembre 2008.
La diminution du nombre de chômeurs reflète dans une certaine mesure un rythme d’embauche qui, bien que lent, est resté stable depuis un an et plus que suffisant pour absorber la hausse de la population. Mais elle est aussi due au fait que le marché du travail demeure trop peu dynamique pour attirer les travailleurs qui sont sortis des rangs de la population active [par découragement] : 6,6 millions d’Américains disent vouloir travailler mais ne sont pas comptés comme chômeurs parce qu’ils ne sont pas activement en recherche d’emploi. La part des actifs dans la population est à son plus bas niveau depuis trente ans [depuis octobre 2008, le taux d’activité a chuté de 66 % à 63,4 %].
“Dans une économie avec une croissance inférieure à 2 %, nous n’avons pas un grand besoin d’embauche parce que notre productivité croît plus vite”, explique Alexander Cutler, PDG d’Eaton Corp., fabricant de matériel électrique et hydraulique. Le nombre total de salariés de l’entreprise, compte tenu de ses acquisitions, est approximativement le même qu’il y a un an.
Les entreprises qui embauchent appartiennent plutôt aux secteurs qui ne peuvent pas facilement augmenter les ventes sans embaucher. En général, ces secteurs versent des salaires plus bas qu’ailleurs. Depuis un an, le commerce de détail, la restauration, l’hôtellerie et les agences de travail temporaire ont alimenté plus de 40 % de la croissance de l’emploi. Beaucoup de ces contrats sont à temps partiel. Le nombre d’Américains ne travaillant pas à temps plein, qui a connu un pic pendant la récession, ne s’est pas beaucoup amélioré et a eu tendance à augmenter pendant une grande partie de cette année [8 millions d’Américains travaillent contre leur gré à temps partiel]. Le président Barack Obama a insisté sur la nécessité de créer de bons emplois, notamment lors d’une récente visite dans des locaux d’Amazon, à Chattanooga (Tennessee), où il a appelé de ses vœux “une meilleure donne pour les classes moyennes”.
Le salaire horaire moyen a augmenté de moins de 2 % La veille, le géant du commerce en ligne annonçait 5 000 nouveaux emplois à temps plein dans ses centres de distribution à travers le pays. Beaucoup de ces emplois ne sont rémunérés que 11 dollars l’heure, voire moins, même si l’entreprise a souligné que les salariés pourraient bénéficier de l’assurance-maladie et d’autres avantages. “Pour nous, ce sont de très bons emplois”, a déclaré la porte-parole d’Amazon. La multiplication des emplois sous-payés induit une croissance anémique du niveau de vie. Le salaire horaire moyen a augmenté de moins de 2 % depuis l’année dernière, perpétuant la faible croissance des salaires dans la reprise. Selon une mesure plus générale publiée par le ministère du Commerce, le revenu corrigé de l’inflation a en fait légèrement baissé en juin.
Certains signes montrent que les Américains sont de plus en plus frustrés par la situation de l’emploi et des salaires. Ces derniers jours, plusieurs centaines d’employés du secteur de la restauration rapide ont fait grève dans tout le pays pour protester contre les salaires de misère. Morris Cornley faisait partie des grévistes. Ce grand-père de 57 ans qui vit au Kansas a perdu son emploi de chauffeur de camion en 2011. Il y a environ un an, il a décroché un boulot de livreur pour la chaîne de sandwichs Jimmy John’s, où travaille également sa petite-fille de 21 ans. Bien qu’il apprécie son travail, il dit avoir du mal à joindre les deux bouts avec sa paie de 7,35 dollars l’heure. “Personne ne peut s’en sortir avec ça”, déclare-t-il. Ancien soldat, il touche également une petite pension militaire d’invalidité. “Ce n’est pas que je ne cherche pas un autre travail. C’est simplement qu’il n’y en a pas d’autre pour moi aujourd’hui.” The Wall Street Journal Ben Casselman 29 août 2013
http://www.courrierinternational.com/article/2013/08/30/une-croissance-low-cost