11 août 2013 ~ 0 Commentaire

Chine, l’état du mouvement syndical et des luttes ouvrières (1)

Chine, l’état du mouvement syndical et des luttes ouvrières (1) dans International

Membres du comité de rédaction du site China Labour Net, Au Loong-Yu et Bai Ruixue sont engagés de longue date dans la solidarité avec les luttes ouvrières en Chine continentale comme à Hongkong.

Membre fondateur du Globalization Monitor, Au Loong-Yu a aussi été l’un des porte-parole de l’Alliance du peuple lors des manifestations contre la réunion du Fonds monétaire international dans l’ancienne colonie britannique, en 2006.

La firme taïwanaise Foxconn emploie 1, 5 million de salariés en Chine continentale, produisant des composants élec- troniques pour des marques comme Apple. Elle a annoncé qu’elle autoriserait l’élection de représentants syndicaux en juillet 2013. Pensez-vous que la démocratisation des sections syndicales d’entreprise est possible dans le contexte d’un Etat policier ?

Selon des médias occidentaux, il s’agirait de la première tentative de syndicalisation à Foxconn. Cela n’est pas exact. En 2007, la Fédération des syndicats de Chine (connue sous son sigle anglais d’ACFTU) avait publiquement annoncé qu’elle avait constitué une section syndicale d’entreprise dans une usine de Foxconn où une lutte s’était récemment produite. Le quotidien Southern Metropolitan Daily a interviewé des travailleurs de cette entreprise. Ils lui ont dit ne pas savoir ce qu’était un syndicat, ou qu’ils ne prendraient contact avec la section syndicale qu’en dernier ressort. Donc, au moins à Shenzhen, il y a déjà un syndicat à Foxconn, mais personne ne sait s’il a fait quoi que ce soit pour les ouvrières et les ouvriers.

Deux travailleurs de Foxconn Zhengzhou se sont suicidés en se jetant dans le vide voici moins de quinze jours, après que la direction a imposé sans préavis le « mode silencieux » à ses salariés. Les employés se sont plaints qu’il leur était interdit de parler au travail, soit plus de 10 heures par jour. Cela en a conduit plus d’un au désespoir. Foxconn est connu pour imposer à sa main-d’œuvre une discipline militaire. Dans la seule année 2010, quatorze travailleurs se sont donné la mort. On se demande ce que la Fédération des syndicats a jamais fait pour empêcher Foxconn de traiter ses salariés comme des esclaves. Si une section syndicale d’entreprise avait une effectivité, comment la direction pourrait-elle leur imposer le « mode silencieux » sans même les consulter ?

Pas de syndicats libres sans liberté politique Nous ne partageons pas l’idée selon laquelle une démocratisation générale des syndicats dans l’entreprise est possible en l’absence de libertés civiles dans le pays. L’expérience de la réélection de la section syndicale de Honda Foshan le montre. Les travailleurs de Honda Foshan ont mené une lutte héroïque et victorieuse en 2010, obligeant la direction et la section locale de la Fédération des syndicats non seulement à consentir une augmentation de salaire, mais aussi à assurer une réélection syndicale dans l’usine. En 2012, une ONG a enquêté sur cette réélection. Malgré la rhétorique des dirigeants du Parti communiste et de l’ACFTU, dans le Guangdong, sur le respect du droit des travailleurs à une élection démocratique, il s’avère qu’il ne s’agissait que d’une élection partielle, une partie seulement de la direction syndicale y étant soumise. Le précédent président, contre lequel les grévistes étaient très remontés, a gardé son siège.

Une élection complète a finalement eu lieu en 2011, sous l’auspice du syndicat local. Cependant, en accord avec les procédures établies par l’ACFTU, la direction sortante a monopolisé le processus de nomination des candidatures à la nouvelle direction. Ainsi, les em- ployés de niveau « encadrement », directorial, ont été autorisés à se présenter comme candidats devant le congrès syndical. De plus, ils ont bénéficié d’un ratio délégués/membres bien plus favorable que les travailleurs du rang.

En conséquence, des membres de l’encadrement ont été élus à la direction du syndicat, alors que les militants qui avaient mené la lutte de 2010 se voyaient éjectés. Les élections dans les secteurs et les comités à la base se sont produites après la reconstitution complète de la direction syndicale centrale de l’usine. Cette procédure a été délibérément organisée pour être très compliquée, très lente, de façon à pouvoir être plus aisément manipulée d’en haut. Et puis, récemment, le 18 mars dernier, les travailleurs d’Honda Foshan sont à nouveau entrés en grève, n’étant pas satisfaits du programme d’ajustement salarial proposé par la direction et le syndicat de l’entreprise. A leurs yeux, ce programme n’était à l’avantage que des niveaux les plus élevés du salariat et il désavantageait les salariés du bas de l’échelle. A la suite de la grève, des hausses de salaire plus élevées ont été offertes aux deux échelons les plus bas.

Les syndicats officiels contestés Cette grève semble bien indiquer que la capacité du syndicat de défendre les intérêts des travailleurs n’est pas très significative. Elle montre le peu de communication entre la section syndicale et les travailleurs du rang, le fait que ces derniers ont dû une nouvelle fois la contourner et engager eux-mêmes une grève pour défendre leurs droits. A la vérité, les ouvriers expliquaient que la position du syndicat était la même que celle de la direction de l’entreprise. Deux semaines plus tard, c’était au tour de travailleurs d’une autre boite, l’usine électronique Ohms à Shenzhen, de demander que son poste soit retiré au président élu du syndicat, Zhao Shaobo. Zhao avait été élu à ce poste l’an dernier à la suite d’une grève exigeant précisément que les travailleurs aient le droit de pouvoir élire leurs propres représentants. Cependant, certains salariés accusent maintenant Zhao et le syndicat de n’avoir pas protégé leurs intérêts, notamment en ce qui concerne la défense du contrat de travail de 22 employés qu’Ohms a décidé de ne pas reconduire au début de cette année. Selon les tra- vailleurs, Zhao a même essayé de les convaincre d’accepter les propositions de la direction de l’entreprise. « Nous ne voulons pas que le président de notre syndicat penche du côté de la direction. Nous voulons élire quelqu’un qui parle pour nous », a dit l’un des ouvriers.

Qu’en est-il des syndicats dans le secteur public ? Il y a beaucoup moins d’informations concernant les syndicats dans les entreprises d’Etat, les SOE ou State Owned Enterprises, « entreprises possédées par l’Etat ». Les médias de masse couvrent plus volontiers les grèves et les réélections syndicales dans le secteur privé, et plus spécialement encore dans les entreprises étrangères, car ils peuvent toujours pointer du doigt les investisseurs étrangers en les accusant de ne pas respecter les lois. Quand la même chose se passe dans le secteur public, étatique, des représentants officiels de l’Etat sont nécessairement et directement impliqués. Du coup, le risque est grand que la presse soit censurée, à moins que les protestations ne deviennent plus larges et ne durent plus longtemps.

De façon générale, dans le secteur privé, la règle est probablement que les syndicats soient réduits à des coquilles vides sous le contrôle des employeurs, le parti-Etat ayant peu d’espace pour intervenir. En revanche, dans le secteur étatique, et même si les entreprises d’Etat ont aujourd’hui une direction plus indépendante que par le passé, l’héritage du rôle du parti et de son intervention sur les lieux de tra- vail n’a pas totalement cédé la place au pouvoir de la direction de l’usine. Bien entendu, les rapports de forces peuvent varier considérable- ment d’une région à l’autre ou suivant les industries. Cela implique probablement que dans le secteur étatique, si les travailleurs veulent un syndicat contrôlé sur leur lieu de travail par les salariés du rang, ils risquent de devoir s’affronter non seulement à la direction de l’entreprise, mais aussi à l’appareil d’un parti hostile et présent au sein même de l’usine.

Un autre fait montre que les syndicats officiels en font bien peu pour protéger les travailleurs de ce secteur. Selon le code du travail, les entreprises d’Etat ne peuvent faire appel à de la main-d’œuvre intérimaire que pour compléter la main d’œuvre régulière, et ce, uniquement dans le cas où cette dernière ne peut pas remplir telle ou telle tâche spécifique. Pourtant, aujourd’hui, elles y recourent massi- vement et l’ACFTU n’a pas rejeté cette pratique devenue courante.

En un mot, rien ne porte à croire que la Fédération des syndicats de Chine va cesser d’agir comme un instrument du parti au pouvoir et de son orientation capitaliste. Même si, à l’occasion, l’ACFTU faisait quelque chose d’utile aux travailleurs, ce ne serait qu’un agenda secondaire. En 2010, sous la pression du lobby patronal de la province de Guangdong et des investisseurs de Hongkong, une clause qui aurait pu conduire à l’élection de représentants des travailleurs pour des « consultations collectives » a été retirée du projet de « règlements sur la gestion démocratique des entreprises » de cette province. La clause originelle n’avait pourtant rien de révolutionnaire,  l’ACFTU aurait contrôlé la nomination des candidats et le mot « négociation » n’apparaissait pas, étant considéré trop « antagonique » ; néanmoins, les révi- sions successives ont vidé la version finale de ce projet de loi de tout sens pour les travailleurs.

Huang Qiaoyan, un professeur de droit à l’université Sun Yat-Sen du Guangzhou, a décrit en ces termes la version révisée de 2011 : elle « reflète le souhait des personnes qui ont rédigé le projet de continuer à contrôler, via les divers niveaux du syndicat, la revendication croissante des travailleurs pour des consultations collectives sur les salaires. Elles ne veulent pas voir une situation où se développeraient des actions spontanées des travailleurs et où les syndicats ne pourraient pas intervenir, qu’ils ne pourraient pas organiser et contrôler. »

Malgré tout cela, le mouvement ouvrier international tend à travailler toujours plus étroitement avec la Fédération des syndicats de Chine, renforçant ainsi sa légitimité. Une crédibilité qui a été une nouvelle fois accordée à l’ACFTU en juin 2011, quand elle a été élue à l’organe dirigeant de l’Organisation internationale du Travail (OIT) par le groupe « salariés ». Vendredi 9 août 2013

Publié dans : Revue Tout est à nous ! 45 (juillet 2013)

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