Approfondissement des inégalités (2)
Dans les pays développés, la remise en cause des garanties collectives tend à ramener le rapport salarié-patron à un rapport individuel tandis que les emplois sont ajustés à tous les aléas de l’entreprise, même si celle-ci fait des bénéfices.
En Chine, la couche des salariés qui bénéficiaient du « bol de fer » (garantie de l’emploi et de droits sociaux) a quasiment disparu. Dans un certain nombre de pays du tiers monde, les acquis limités sont passés à la moulinette des prescriptions du FMI et de la Banque mondiale. Le chômage de masse permet de peser sur les revendications de ceux qui ont un emploi, et les jeunes en sont particulièrement victimes. La tendance à faire de la santé et de l’éducation des marchandises est prégnante. Les études de l’OCDE (organisme qui réunit les principaux pays capitalistes) montrent que les inégalités progressent dans les pays qui en sont membres depuis les années 80. Avant la crise, le revenu moyen des 10 % les plus riches représentait environ neuf fois celui des 10 % les plus pauvres. Cet écart était de 8 dans les années 90, et de 7 dans les années 80. Lors des trois premières années de la crise, entre 2007 et 2010, cet écart est passé de 9 à 9, 5…
On constate un enrichissement encore plus grand de ceux qui se situent au sommet : aux États-Unis par exemple, la part des revenus des ménages des 1 % les plus riches a plus que doublé, passant de près de 8 % en 1979 à 18 % en 2007. Aux États-Unis et ailleurs, il est de plus en plus clair que les dirigeants n’agissent que dans l’intérêt de ces « 1 % », pour reprendre la formule d’Occupy Wall Street. D’autant qu’éclatent un peu partout des affaires mettant en cause les liaisons incestueuses des hommes de pouvoir et du capital.
Aggravation de la crise La crise du système montre que « le roi est nu ». Depuis les années 80, les politiques économiques sont structurées autour la formule du chancelier social-démocrate allemand Helmut Schmidt : « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». Les profits, les capitalistes les ont engrangés des années 80 au début des années 2000. Mais ils se sont traduits par un développement exacerbé du capital fictif et de la finance, tandis que le chômage de masse devenait une donnée permanente. Cela a débouché sur la crise actuelle, initiée aux États-Unis en 2007-2008, la plus profonde depuis les années 30. Elle prend des formes différentes selon les continents avec, pour l’instant, une gravité particulière en Europe.
Malgré leurs divergences, les gouvernements de droite et de gauche sont d’accord sur des politiques visant à faire payer la crise aux dominés. Ils ont aussi appris à gérer les crises, tout au moins à éviter ou retarder les dynamiques d’effondrement du type de celle de 1929. En 2008 et depuis, ils ont ainsi ouvert largement les vannes monétaires pour soutenir les banques. Le gouvernement chinois a mis en œuvre, pour sa part, des plans massifs pour éviter un trop fort ralentissement de la croissance. Ces gouvernements ont aussi refusé les replis protectionnistes et accentué les négociations internationales pour élargir encore la liberté de mouvement des capitaux et des marchandises (comme en témoigne le début des négociations sur l’accord de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis).
La vieille taupe continue de creuser… Mais, telle la vieille taupe dont parlait Marx à propos de la révolution, la crise continue de creuser ses galeries souterraines fragilisant le sol sur lequel dansent les capitalistes. Ainsi, autrefois épicentre de l’industrie automobile américaine, la mise en faillite de la ville de Detroit pourrait ne pas être sans incidence pour certaines banques européennes. Selon le Wall Street Journal, ces banques détiendraient pas moins d’un milliard de dollars en certificats de participation, des actifs qui pourraient perdre toute valeur…
Les puissants s’acharnent à rendre ce monde à la fois incompréhensibles aux dominés et à le présenter comme inévitable. Il n’est en effet pas simple de mettre en correspondance les différentes facettes de la réalité, que l’on songe par exemple à l’écart grandissant entre terrain et lieux de prise de décision auxquelles sont souvent confrontés les salariés des entreprises qui licencient. Il n’y a pas besoin de militants anticapitalistes pour que des révoltes se développent. Parfois même, ceux-ci apparaissent marginaux par rapport à des mouvements qui les rejettent dans leur détestation globale des « politiques ». Mais la trajectoire future de ces mouvements dépendent aussi de l’existence de forces organisées se fixant explicitement et résolument l’objectif de « révolutionner la société » et aptes à penser cet objectif dans le cadre du monde transformé qui est le notre. Henri Wilno