Ecologistes-résistants au Sud (2)
Chandramma est une paysanne pauvre de la caste des dalits, les intouchables, les hors castes comme le sont aussi les Adivasis, les aborigènes indiens.
Elle est devenue un personnage très important pour la survie des petit-e-s paysan-ne-s de l’Inde du centre, une région semi-aride, comme Yacouba dans le Sahel à la même époque. Les moussons sont devenues capricieuses, comme la saison des pluies ailleurs, conséquence du changement climatique.
En 1980, une sécheresse a privé les paysans de récolte, donc de nourriture et pire, de semences pour l’année suivante. Des semences hybrides, sans moisson possible quand on les ressème, ont alors été données par le gouvernement indien pour les secourir. Les premières récoltes ont donné une « malbouffe » incapable d’apporter aux populations vigueur et force. Elles ont alors survécu sous assistance alimentaire jusqu’à l’arrivée de la DDC (Deccan development society) dans leur région, une ONG indienne axée sur la recherche de solutions permettant aux plus pauvres de retrouver leur indépendance.
Avec cette aide, Chandramma va mettre toute son énergie dans la création de sanghams de femmes, des associations de villageoises pauvres, composées essentiellement de dalits. Des multiples réunions de ces sanghams vont naître de nombreuses idées mises en œuvre aussitôt. En effet, chacune d’entre elles, selon le directeur de la DDS, en étant incluses dans les décisions prises au cours de ces réunions, va se sentir responsable. Une véritable révolution sociale pour ces femmes. Les paysannes dalits sont souvent très pauvres et leurs paroles rarement prises en considération. Être une intouchable à la campagne revient à subir une double punition : machisme et mauvais traitements réservés aux personnes hors castes.
Les difficultés semblaient insurmontables. Malgré ou à cause de la sécheresse, des terres pauvres et des semences hybrides, face à l’impossible, comme l’était Yacouba, ces femmes vont réagir. Est-ce l’énergie collective qui a donné à Chandramma l’idée magnifique qui va tout changer ? Alors qu’aucune des femmes n’avait assez d’argent pour acheter des semences, Chandramma demanda aux fermiers de la région qu’ils lui donnent une part de leurs semences anciennes et proposa en échange de leur rendre le double après les récoltes. Et cela a réussi. En utilisant la fumure des bêtes et avec un bon travail de préparation des sols, ces graines – mil et sorgho – ont tout de suite donné de bons résultats à l’inverse des clones hybrides données par le gouvernement.
Elles étaient adaptées aux conditions climatiques – peu de pluies et de fortes chaleurs - et aux caractéristiques des terroirs grâce à la sélection paysanne ancestrale. Les terres utilisées étaient pourtant pauvres et délaissés avant que Chandramma et ses compagnes ne les remettent en culture. Pourtant, elles ont retrouvé rapidement santé et énergie grâce à la diversité et la qualité nutritionnelle de ces céréales. Les rendements ayant rapidement doublé voire triplé, ces femmes en mettant en pratique une véritable souveraineté alimentaire, ont pu reconquérir leur autonomie et ont permis de faire redémarrer la région économiquement en seulement quelques années.
En appliquant l’idée de rendre près du double de la quantité de semences empruntées, elles ont pu créer des maisons de semences, ou chaque paysan-ne a pu se fournir sans être contraint-e de faire un emprunt auprès des usuriers ou des banques de micro-finance. Des taux qui varient autour de 50% par an. N’oublions pas que la cause des 275 000 paysan-ne-s indien-e-s qui se sont suicidés ces 15 dernières années est l’impossibilité définitive, après de mauvaises récoltes, de rembourser les crédit faits pour obtenir des engrais, des pesticides et des semences hybrides ou OGM très onéreuses, à renouveler chaque année. |3|
La DDS a ensuite répandu auprès de plusieurs millions de paysan-e-s ces méthodes agroécologiques et ces maisons de semences paysannes. Chandramma est une femme illettrée, comme Yacouba du Burkina, mais comme son homologue africain, leurs expériences rayonnent aujourd’hui à travers leur pays, voire au delà. Tous deux, dos au mur, la faim au ventre, ont fait revivre et améliorer des savoirs ancestraux pour trouver une solution de survie. Puis ils ont rassemblé les paysans pour regrouper les intelligences et les énergies. Ces derniers ont ensuite inventé de nouvelles relations bâties sur la gratuité : semences et savoirs. En s’écartant de la course aux profits, en faisant l’opposé de ce que propose les grands semenciers, la Banque mondiale et les gouvernements, Chandramma offre à la société civile un chemin pour retrouver le sens du « bien vivre » et du respect de l’écologie, indispensable pour construire un futur à l’humanité.