14 juillet 2013 ~ 0 Commentaire

1789, une révolution inachevée ? (2)

1789, une révolution inachevée ? (2) dans Histoire marat_idole

Sans-culottes

Quelle est cette force qui vient de renverser la monarchie et d’arrêter la contre-révolution ? Les sans-culottes constituent un assemblage hétéroclite d’artisans, petite-bourgeoisie et journaliers, ouvriers d’ateliers. La faim et l’intérêt commun contre les spéculateurs, gros négo- ciants ou bourgeois aisés cimentent cette union et la rendent capable de canaliser l’aspiration des plus pauvres contre les plus riches mais sans programme véritablement cohérent. « Relevant des classes populaires par leur conditions d’existence et souvent la misère, les artisans n’en possédaient pas moins leur échoppe et leur petit outillage ; de tenir sous leur discipline compagnons et apprentis accentuait leur mentalité bourgeoise. Mais l’attachement au système de la petite production et de la vente directe les opposait à la bourgeoisie marchande et au capital commercial (…). De là, parmi les artisans et les boutiquiers qui formèrent les cadres du mouvement populaire des aspirations contradictoires.[Soboul, op.cit., p. 17.]] »

Leur programme visait en effet à la fois la restriction de la propriété privée et son maintien, ils s’opposaient à la logique de l’accumulation du capital qui les menaçait mais, eux-mêmes propriétaires, ne pouvaient la combattre de manière conséquente. L’idéal social sans-culotte était celui d’une République de petits propriétaires. Par ailleurs il n’existe pas alors de classe ouvrière à même de développer une conscience de ses intérêts propres. S’il existe quelques grandes manufactures, elles regroupent une minorité des ouvriers qui sont alors épar- pillés dans de petits ateliers employant 2 ou 3 journaliers. Ces journaliers ne pouvaient fournir la base sociale d’un programme anticapitaliste conséquent et d’une organisation indépendante. Certes il y eut des grèves et les journaliers participèrent à la lutte mais sous la bannière de leurs maitres petit-bourgeois.  » (…) l’avant-garde révolutionnaire n’était pas constituée par un prolétariat de fabrique, mais par une coalition de petits patrons et de compagnons travaillant et vivant avec eux. De là certains traits du mouvement populaire, un certain comportement, comme aussi certaines contradictions résultant d’une situation ambigüe. Le monde du travail est marqué dans son ensemble par la mentalité petite bourgeoise artisanale et, comme elle, participe de la mentalité de la bourgeoisie. Ni par la pensée, ni par l’action, les travailleurs ne constituaient un élément indépendant. Ils n’établissaient pas un rapport direct entre la valeur du travail et le taux de salaire ; le salaire se déterminait par rapport au prix des subsistances : la fonction sociale du travail n’était pas clairement conçue. [17] »

Même sans programme cohérent (‘maximum’ des prix et des fortunes) les sans-culottes sont donc une force redoutable contre l’aristocratie. Mais une force efficace seulement sous la direction d’une fraction de la bourgeoisie. Point crucial qui sera exposé le 10 mars 1793. Les revendications sociales d’un contrôle accru de l’économie prenaient alors une forme politique par l’exigence des sans- culottes que l’Assemblée soit purgée des élus girondins, trop compromis dans la contre-révolution (notamment lors du soulèvement en Ven- dée). La manifestation à l’Assemblée prévue pour le 10 mars 1793 par les sans-culottes est un échec retentissant car elle n’a pas alors le sou- tien des jacobins. Par contre, c’est une préparation commune qui permettra d’éliminer les Girondins le 2 juin 1793.

La dictature jacobine et la destruction des anciennes institutions

Début 1793 les problèmes ressurgissent de manière plus aiguë encore. Sur le plan social rien n’a changé et les défaites militaires se multiplient (la France est alors en guerre contre les puissances majeures européennes : Espagne, Angleterre). Il faut plus de troupes : le décret du 23 août 1793 sur la levée en masse permettra la mobilisation d’un million d’hommes jusqu’au début de 1794. Mais cette mobilisation sans précédent dans l’histoire militaire de l’époque exige, pour être efficace, que l’ensemble de l’économie soit tournée vers le front. C’est en s’appuyant sur la mobilisation des sans-culottes le 5 septembre 1793 que les Jacobins, alors majoritaires au Comité de salut public, vont imposer à la bour- geoisie les efforts d’une économie dirigée. Le 17 septembre une loi permettant l’arrêt de toute personne suspectée de spéculation ou de sou- tien à la contre-révolution, est promulguée. Le 21 septembre le commerce extérieur est mis sous contrôle de l’Etat et le 29 septembre le ‘Maxi- mum’ des prix est voté pour un panier de produits de consommation courante. C’est l’apogée de l’alliance entre sans-culottes et Jacobins.

Mais pour les Jacobins l’économie dirigée n’a jamais été un but en soi, mais un moyen de mettre l’ensemble de l’économie au service de la guerre et de l’approvisionnement des villes. Et c’est seulement dans la perspective de vaincre la contre-révolution que la bourgeoisie accepte l’alliance avec les Sans-culottes et l’économie dirigée. En clair, le mouvement révolutionnaire est mis au service des intérêts de la bourgeoisie. Aussi en même temps qu’ils s’allient avec lui, les Jacobins attaquent-ils le mouvement populaire. A l’aide d’une combinaison de mesures, ils parviennent à discipliner les sans-culottes : attaque des porte-paroles, bureaucratisation des secteurs combatifs (en faisant notamment payer la participation aux sections et aux clubs politiques) et diminution du nombre hebdomadaire des assemblées de sections. A cela il faut ajouter que la ‘levée en masse’ a amputé le mouvement révolutionnaire de ses militants les plus actifs. D’un autre côté l’abolition sans contrepartie des droits seigneuriaux le 17 juillet 1793, ‘calme’ la paysannerie en la plaçant définitivement du côté de la Ré- publique. Ainsi au début 1794 les deux mouvements qui poussaient la révolution en avant et qui constituaient la base du soutien aux Jacobins sont assagis.

Thermidor et la consolidation du pouvoir bourgeois

Avec les victoires du début 1794, le spectre de la contre-révolution semble s’éloigner et les divergences sur l’opportunité de supporter plus longtemps le poids d’une économie dirigée ressurgissent au sein de la bourgeoisie. La dictature jacobine apparait donc de moins en moins nécessaire et le gouvernement se retrouve attaqué de toutes parts. Privé de sa base de soutien, qu’il à lui-même contribué à affaiblir, le gou- vernement tombe le 26 juillet 1794 (9 Thermidor an II). Le lendemain Robespierre est guillotiné. La bourgeoisie affirme alors son crédo dans la Constitution de 1795 qui institue par les lois ce que Boissy d’Anglas pose comme un principe de la société bourgeoise : « Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social ; celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature. » [18] Il faudra une dizaine d’années pour stabiliser définitivement le nouvel ordre bourgeois. Néanmoins, Thermidor marque la fin de la révolution et la première étape d’un reflux qui s’achèvera avec Napoléon en 1799. Reflux sur la base d’une consolidation des gains essentiels de la révolution, au profit de la bourgeoisie.

Quels enseignements pour aujourd’hui ?

Tout d’abord la Révolution française permet d’illustrer un trait caractéristique des révolutions bourgeoises : tout au long du processus révo- lutionnaire qui mène à la destruction du féodalisme, les masses auront toujours été mobilisées afin de créer les conditions politiques de la domination du capital [19]. En léguant un pouvoir unifié et centralisé, la Révolution française est bien allée à son terme. Un deuxième élément est que la domination politique du capital arrive après le développement de relations capitalistes dans l’ancienne société. L’Ancien Régime est en place mais la société est de plus en plus bourgeoise. « La marche si brillante des révolutions bourgeoises repose socialement sur le fait que, dans une société dont la structure absolutiste féodale est profondément minée par le capitalisme déjà fortement développé, elles tirent les conséquences politiques, étatiques, juridiques, etc., d’une évolution économico-sociale déjà largement accomplie. Mais l’élément réellement révolutionnaire, c’est la transformation économique de l’ordre de production féodal en ordre capitaliste (…) [20] »

Mais le développement du capitalisme change les conditions matérielles de la transformation sociale. Tout d’abord il crée une classe, la classe ouvrière, qui détient la capacité de réorganiser économiquement l’ensemble de la société. Ensuite, il développe de nouvelles contradictions liées à la centralisation politique et économique (en totale opposition avec la socialisation toujours croissante du travail), qui imposent à cette nouvelle classe de prendre le pouvoir avant de mener cette réorganisation. La dynamique à l’œuvre dans une révolution prolétarienne est alors totalement contraire à celle d’une révolution bourgeoise. Car il n’existe pas, sous le capitalisme, d’enclaves de socia-lisme, de ‘brèches de socialisme’ dont il s’agirait d’assurer le développement par des conditions politiques favorables. Pour le dire autrement, il ne suffit pas de pousser plus à gauche le curseur politique pour favoriser le développement de bases économiques du socialisme, sous le capitalisme.

La pression populaire a pu pousser les Jacobins plus loin qu’ils ne le voulaient, notamment sur la question foncière avec l’abolition des droits le 17 juillet 1793. Mais jamais ils n’ont été confrontés à un ‘deuxième pouvoir’ à même de mettre en œuvre de ma- nière indépendante son programme. Cette force là n’existait pas encore. Bien plus, le rôle crucial joué par les Jacobins dans leur capacité à fournir un programme au mouvement de masse devrait inspirer l’action des révolutionnaires aujourd’hui. A travers le réseau de leurs clubs politiques, et les liens entretenus avec les clubs plus populaires, les Jacobins ont pu conquérir une hégémonie dans le mouvement tout en gardant leur indépendance politique. Le piston jacobin a été primordial pour canaliser la puissance de la vapeur sans-culotte.

Enfin il y a une continuité entre révolution bourgeoise et révolution prolétarienne. « Le trait le plus incontestable de la Révo- lution, c’est l’intervention directe des masses dans les événements historiques » [21]. Cette révolte contre l’injustice est la nôtre. De surcroît, elle possède dans son développement quelque chose de plus que sa nature bourgeoise, des éléments qui pointent plus loin qu’une simple domination du capital. Ainsi, la Conjuration des égaux de Babeuf, expression d’une révolution sociale prématurée, entre un déjà là et un pas encore là en 1795, aspirait effectivement à une transformation sociale bien plus radicale que ne pouvaient l’imaginer les Jacobins. Transfor- mation que seule l’existence d’une classe ouvrière aurait pu réaliser.

Mais il faut souligner la nécessité d’une rupture avec le schéma de la révolution bourgeoise. Le point de départ d’une réponse aux défis d’aujourd’hui réside dans la possibilité que détient la classe ouvrière de réorganiser, concrètement et non pas simplement dans ses aspirations, l’ensemble de la société au bénéfice de la majorité. C’est une rupture profonde avec 1789 : « Tous les mouvements ont été, jusqu’ici, accomplis par des minorités ou dans l’intérêt de minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité. » [22] Seule l’action indépendante de la classe ouvrière, mobilisée consciemment autour de ses propres revendications, associée à la construction consciente en son sein d’une direction, par les militants révolutionnaires, permettra de renvoyer dans les poubelles de l’histoire la société née avec la Révolution française : « La Révolution française n’est que l’avant-courrière d’une autre révolution bien plus grande, bien plus solennelle, et qui sera la dernière » [23]. par William Vey

http://quefaire.lautre.net/spip.php?page=article&id_article=53

CouvGuerin Une lecture indispensable!

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