République et anticapitalisme
Sur le plan économique et social, les républicains d’aujourd’hui analysent plus la société capitaliste, dans les termes d’une critique humaniste, « L’Humain d’abord », plutôt que ceux de la lutte de classes.
Ils s’opposent au néo-libéralisme et au capitalisme financier, inventent de nouvelles régulations, mais n’osent pas remettre en cause le noyau dur du sys- tème capitaliste, à savoir les rapports de propriété. Ils se prononcent bien entendu pour la défense des services publics, pour leur gestion démocratique. Le programme du Front de gauche, « L’Humain d’abord », explique que « le pouvoir économique ne sera plus entre les mains des seuls actionnaires, les sala- riés et leurs représentants seront appelés à participer aux choix d’investissement des entreprises en tenant compte des priorités sociales, écologiques et économiques démocratiquement débattues », mais ils ne vont pas jusqu’à des incursions dans la propriété capitaliste et l’amorce d’un processus de socia-lisation de l’économie. Ils défendent l’intérêt général, mais lorsque celui-ci bute sur la propriété du capital, les réponses se font plus qu’évasives. Alors que plus que jamais, la profondeur de la crise capitaliste, au-delà des résistances quotidiennes aux politiques d’austérité, pose au mouvement ouvrier l’alter-native historique suivante : accepter la logique du système capitaliste actuel et subir d’énormes régressions sociales, économiques, écologiques ou rompre avec le capitalisme, défendre le droit à l’existence avant le droit de propriété et s’engager dans une confrontation avec les classes possédantes. Et là, « l’in- térêt général », c’est redonner toute sa centralité à la Lutte de classes !
République et socialisme
Toutes ces considérations nous conduisent à ne pas donner une valeur stratégique à la « république » tout court ! Une chose est de défendre, dans la Ré- publique, des conquêtes sociales et démocratiques : le suffrage universel, les services publics, la laïcité comme principe de séparation de l’église et de l’Etat. Ces combats prennent aujourd’hui une nouvelle dimension face aux contre-réformes libérales qui remettent en cause l’espace démocratique. Ils doivent être liés à une perspective transitoire de transformation sociale radicale de la société. Autre chose est de proposer comme perspective stratégique une référence à la République qui, comme forme politique, fusionne libertés démocratiques et institutions étatiques. Cela ne peut que brider et limiter les luttes de classes dans la remise en cause des formes étatiques.
Il n’y a pas de continuité entre République et socialisme :
entre les deux, il y a des cassures, des discontinuités, en particulier dans la destruction de la vieille machine d’Etat. Affirmer une continuité entre la Répu- blique et le socialisme, c’est ne plus penser la « rupture », c’est relativiser toutes les problématiques liées à l’émergence de situations révolutionnaires qui posent la question de nouvelles formes d’autogouvernement ou d’autogestion sociale. On en arrive alors à la formule de Mélenchon, de « révolution par les urnes », révolution canalisée, déviée, corsetée par les institutions de la République. Car il ne s’agit plus, pour lui, de reprendre le drapeau de la République sociale, celle des communards, qui opposaient la république sociale aux classes bourgeoises, mais des républicains qui, au-dessus des classes sociales, fu- sionnent dans leur défense de la République les mots « Nation », « République » et « Etat ». Cette conception ne peut que subordonner la « révolution citoyenne » ou « la révolution par les urnes » au respect des institutions de l’Etat des classes dominantes. Il ne s’agit pas, pour les révolutionnaires, de nier la place des élections dans une stratégie révolutionnaire ou le suffrage universel comme mode d’expression et de décision démocratique, ni le fait que lors d’une crise révolutionnaire, le torrent du mouvement de masse bouscule et peut passer au travers des vielles institutions. Mais le centre de gravité des révolutions, ce ne sont pas les urnes, c’est, d’une part, « l’irruption des masses sur la scène sociale et politique » et d’autre part, la remise en cause du pouvoir des classes dominantes. Les révolutions créent, par leur propre dynamique, de nouvelles architectures de pouvoir économique, social, et politique. Historiquement, la République, comme continuité institutionnelle, a souvent été un barrage pour ces nouvelles formes politiques. La révolution doit alors la dépasser.
[1] Moi La Révolution, éditions Gallimard, 1989.
[2] « La social démocratie et le gouvernement révolutionnaire provisoire », œuvres vol 18 p 281.
* Article paru dans un dossier sur la République, revue « Tout est à nous » n° 44 de juin 2013. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article28895